Trois filles en colère, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard Scripto

Trois filles en colère, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard Scripto

Un roman épistolaire, historique et féministe qui suit le destin de trois jeunes filles à Paris, Berlin et Athènes. Trois filles en colère et libres.

Elles sont trois. Trois jeunes filles en train de basculer dans l’âge adulte. Suzanne vit à Paris et étouffe dans sa famille bourgeoise bourrée de principes d’un temps bientôt révolu. Magda, sa cousine, a rejoint son père à Berlin ouest où elle subit le poids des silences et des non-dits familiaux. Cléomèna travaille à Athènes où elle cache sa filiation pour échapper à la répression des communistes avant de fuir à Paris.

Une identité européenne

Le roman commence par une lettre datée du 26 août 1966. La Grèce est écrasée par la dictature, l’Allemagne est coupée en deux blocs et la France commence à gronder, imperceptiblement. Il se termine par une lettre datée du 30 juin 1968. « Ce n’est pas un roman sur mai 1968, mais un roman qui aboutit aux événements de 68, précise d’emblée Isabelle Pandazopoulos. Du fait de mes origines (née en France d’un père grec et d’une mère allemande), je voulais voir ce qui se passait dans ces deux pays à la même époque. » Par ce biais, l’auteure propose une autre façon de parler d’identité européenne, si « complexe à définir » et trop souvent réduite « à des chiffres, des statistiques, des menaces. Mais qui connaît l’histoire de la Grèce ? »

Des voix multiples

Les 78 lettres (79 en comptant l’épilogue), étalées sur presque deux années, rendent compte des destins de Suzanne, de Magda et Cléomèna, en mêlant subtilement l’intime, le relationnel et le contexte sociétal. D’autres missives s’intercalent, celles des mères, des grands frères, d’une servante, d’un amoureux éconduit… Ces voix multiples et alternées donnent une dimension contemporaine au roman alors que le genre épistolaire renvoie à une forme désuète et délicieusement littéraire. « J’ai adoré écrire avec lyrisme. »

Des documents historiques

En toile de fond, des documents historiques, distillés entre chaque lettre chargée émotionnellement, racontent cette période complexe et en ébullition et rythment le roman par « des respirations et des ponctuations ». La complexité européenne de l’époque donne des clefs pour appréhender celle d’aujourd’hui. « Ça m’a amusée de constater qu’à une même période, les communistes en Allemagne inventaient la surveillance de tous les citoyens, tandis que les communistes grecs incarnaient la lutte et la résistance contre le fascisme et la dictature des colonels. »

La naissance du féminisme

Reste la question centrale à laquelle le roman s’attache à donner des réponses au fil des pages : qu’est-ce qui lie une jeune Grecque, une jeune Française et une jeune Allemande en 1968 ? Les trois filles aspirent à vivre pleinement leurs désirs. Et à s’affranchir des carcans culturels, du conservatisme religieux et de la domination masculine. « Elles grandissent et s’appuient sur le grondement qui couve pour prendre leur liberté. » Ainsi que leur place dans la société. « Pour moi, précise Isabelle Pandazopoulos, mai 68, c’est le début de féminisme. »

Avec leur histoire familiale, leur caractère, leur sensibilité, Suzanne, Magda et Cléomèna incarnent ce changement de mentalité et cette lutte, chacune à leur façon, sans jugement, ni leçon, ni modèle, mais avec des questions, qui résonnent encore si fort aujourd’hui. Leur colère de femmes libres réveille la nôtre et ça fait un bien fou.

Gallimard jeunesse
Trois filles en colère, Isabelle Pandazopoulos, Gallimard Scripto, 336 pages, 13,50 €. Dès 13 ans.

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3 Comments

  1. Je voulais laisser un commentaire sur ce livre car ma maman me l’a offert il y a 1 semaine et je l’ai dévoré … Je l’ai beaucoup aimé car ce ne sont que des lettres, des photos, des articles… J’ai aussi adoré l’idée du féminisme présent dans ce livre. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai envie de ressembler à ces femmes là car elles sont si intelligentes et courageuses ! Elles m’ impressionnent !
    J’ai aussi aimé le fait que les personnages soient liés entre eux, les histoires d’amour…
    Je voulais juste remercier l’auteure de ce livre formidable et j’aimerais beaucoup lire d’autres livres d’elle.
    Merci
    Léonie

    • Bonjour Léonie
      Merci beaucoup pour ce commentaire enthousiaste. Je comprends cet engouement que j’ai moi-même éprouvé en le lisant. Isabelle Pandazopoulos est une femme passionnante que j’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises pour parler de ses romans. On s’est juste embrassés est le premier livre que j’ai lu d’elle (mais il n’est pas chroniqué dans Livresse car il date de 2009) et j’en garde un souvenir prégnant : l’écriture, le propos, la complexité, la justesse, la finesse. Depuis, elle a écrit La Décision et Double Faute. Deux autres lectures que je garde toujours en mémoire…
      A bientôt

    • Chère Léonie,

      Quel beau cadeau vous me faîtes à votre tour !
      Je ne sais pas si on peut rêver mieux quand on écrit que de sentir ça, que les personnages vivent ailleurs dans l’imaginaire des lecteurs et des lectrices… qui s’en emparent avec ce qu’ils sont ! Et qui les accompagnent vers d’autres chemins… non vraiment, je crois que c’est LE plus beau cadeau qu’on puisse recevoir d’une lectrice !
      Je suis heureuse qu’elles vous plaisent, « mes »filles, qu’elles continuent longtemps de faire vivre à travers vous les convictions qu’elles défendent, la vie qu’elles ont envie de mener…

      Merci de votre mot !
      Merci de votre lecture…

      moi, ça me donne de l’envie et de la force pour continuer d’écrire !
      Isabelle Pandazopoulos

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